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Ce chapitre raconte l’installation du couple Decker à Vannes en 1880–1881 et les vingt premières années de leur vie familiale, marquées par la naissance de quatorze enfants. Cette période riche en événements fonde l’identité moderne de la lignée. Tandis que Théodore exerce au Collège Saint-François-Xavier comme professeur d’anglais, d’allemand et de musique, Rosa tisse autour de leurs enfants une atmosphère de culture, de discipline et de bonté. La maison Decker devient un foyer animé, rempli de chants, de récitations, d’apprentissages et de gestes quotidiens qui forgent l’âme d’une famille singulière. Ces années voient grandir ceux qui deviendront photographes, artistes, résistants, mères de résistants, religieux, figures publiques ou artisans discrets de l’histoire familiale. Le récit explore la ville de Vannes, l’univers familial, les premières années des enfants et l’évolution d’un foyer devenu influent dans le Morbihan.
Lorsque Théodore et Rosa quittent Dinard pour rejoindre Vannes, ils ne se doutent pas encore qu’ils s’apprêtent à écrire l’un des chapitres les plus féconds de leur vie. La ville, paisible et charmante, leur offre la stabilité que la région de Saint-Malo, avec ses activités portuaires, ses marées et ses énergies changeantes, l’émergence du tourisme balnéaire, ne pouvait leur garantir.
À Vannes, ils trouvent un environnement propice à l’éducation, à la musique, à la foi catholique et à la formation de leurs enfants à venir. La cité, autrefois médiévale, enveloppée de remparts et traversée de ruelles étroites, possède une âme que les enfants Decker apprendront à chérir.
Entre 1880 et 1900, la maison familiale vibre au rythme des naissances, des premières maladies, des travaux scolaires, des chansons maternelles, des récitations du soir et des pas prudents sur les planchers de bois.
C’est dans cette atmosphère dense, parfois chaotique mais toujours empreinte d’amour et de discipline, que naît la génération qui, quelques décennies plus tard, marquera profondément l’histoire de Vannes, de la Bretagne et même de la France.
Vannes à la fin du XIXe siècle est une ville en pleine transformation. Le port vit au rythme des marées et des bateaux de commerce. Les ruelles anciennes côtoient des maisons bourgeoises où s’installent des familles venues de toute la France.
Le Collège Saint-François-Xavier, tenu par les Jésuites, est un centre important d’éducation où les langues étrangères, la musique et les humanités sont enseignées avec rigueur. Il s’agit d’un établissement prestigieux, reconnu pour la qualité de son enseignement. C’est là que Théodore obtient un poste, d’abord temporaire, puis permanent, enseignant les langues et la musique à des générations de jeunes Bretons.
La vie culturelle vannetaise est marquée par les processions religieuses, les concerts paroissiaux, les réunions familiales et les traditions bretonnes encore très vivaces. Les Decker, étrangers devenus peu à peu intégrés dans ce tissu social, participent activement à cette vie nouvelle.
Lorsque le couple s’établit définitivement à Vannes en 1881, Théodore est déjà professeur et Rosa attend leur deuxième enfant. La première maison qu’ils occupent se situe dans un quartier calme, à proximité du collège et des rues commerçantes.
Les premiers mois sont marqués par une organisation minutieuse. Théodore consacre ses journées à l’enseignement, préparant ses cours avec soin, arrivant toujours en avance au collège, écrivant tard le soir des notes de musique ou relisant des partitions.
Rosa, elle, organise la maison. Elle prépare les repas, supervise les lessives, récite des poèmes anglais à ses enfants, chante des berceuses écossaises et initie les plus grands aux premiers rudiments de lecture.
La maison est petite mais chaleureuse. Les fenêtres donnent sur une ruelle où passent des charrettes chargées de bois, des enfants jouant à la marelle et, parfois, des prêtres du collège.
Dans ces premières années vannetaises, le couple découvre la douceur d’une ville qui les adopte avec bienveillance. Théodore trouve des élèves motivés, des collègues amicaux, une paroisse où son talent musical est reconnu. Rosa découvre les marchés bretons, la chaleur humaine des habitants et ce sentiment de stabilité qu’elle n’avait jamais connu dans ses années d’enfance en Inde.
Entre 1880 et 1900 (plus précisément : entre 1878 et 1901), quatorze enfants naîtront au foyer de Théodore et Rosa. Certains ne vivront que quelques années, rappelant la fragilité de la vie à cette époque. D’autres atteindront l’âge adulte et laisseront une empreinte profonde dans l’histoire.
La maison résonne constamment : des pleurs des nourrissons, des rires étouffés, des récitations en allemand, des conversations en anglais, des gammes jouées maladroitement sur un piano d’étude, des chants religieux interprétés le dimanche soir en famille.
Rosa veille avec une patience infinie sur cette fratrie en perpétuel mouvement. Elle note les progrès de chacun, console, gronde, encourage, enseigne.
Théodore est un enseignant passionné, au travail acharné, qui passe beaucoup de temps sur les claviers, les partitions et les bancs de classe. Malgré ses journées bien remplies, il consacre ses soirées et ses jours de repos à ses enfants. Il leur apprend le solfège, les initie à l’orgue, leur transmet son amour des langues.
Au fil des naissances, la maison devient trop petite. Le couple déménage, toujours à proximité du collège, dans une maison plus vaste où les enfants peuvent courir dans le jardin, où les chambres sont plus nombreuses et où le piano occupe une place centrale dans le salon.
Parmi les quatorze enfants, plusieurs attirent très tôt l’attention par leur personnalité. Marie Fanny Rosa, l’aînée survivante, montre une précocité intellectuelle qui impressionne. Elle lit beaucoup, interroge son père sur des passages de la Bible et pratique assidûment le piano.
Francis révèle dès son jeune âge une sensibilité artistique remarquable. Il observe attentivement les silhouettes, les jeux de lumière, les expressions des visages, préfigurant la vocation de photographe qui marquera plus tard sa vie adulte.
René semble dès l’enfance attiré par les images, les gestes, les détails minutieux, ce qui le conduira aussi vers le monde de la photographie.
Jacques et Jean, plus turbulents, s’engagent tôt dans les jeux qui leur permettent de rêver à des aventures. Nul ne pouvait deviner alors que ces deux garçons affronteront un jour les épreuves terribles de la guerre et de la déportation.
Maurice, discret, observateur, accomplit ses devoirs sans bruit, avec une patience héritée de son père.
Les autres enfants, certains plus fragiles, d’autres emportés trop tôt, marquent profondément le cœur de leurs parents. Deux enfants, dont l’aîné, meurent dans leur première année et deux au cours de leur 7^(ème) et 8^(ème) année. Les Decker vivent ces deuils intimes dans la pudeur, entourés de la compassion des voisins et de la paroisse.
Ces années d’enfance sont un mélange d’insouciance, de travail, de rires et d’épreuves. Elles constituent le terreau sur lequel se construira la génération qui comptera une résistante au courage indestructible, plusieurs artistes, un maire de Vannes, des photographes reconnus, un réseau entier de femmes et d’hommes engagés.
Entre 1880 et 1900, la famille Decker s’enracine profondément dans la ville de Vannes. La maison devient un foyer de musique, de langues, de culture, de devoirs scolaires et d’amour.
Théodore, naturalisé français en 1895, incarne l’intégration réussie d’un immigré luxembourgeois devenu professeur respecté, musicien reconnu, figure essentielle de la vie culturelle vannetaise.
Rosa, née aux Indes, issue d’un héritage écossais et anglais, apporte à la maison un raffinement, une ouverture au monde et une éducation profondément marquée par les traditions britanniques.
Leurs quatorze enfants constituent l’une des plus grandes fratries de la ville. Certains laisseront une empreinte lumineuse dans l’histoire locale et nationale, d’autres disparaîtront trop tôt, mais tous participeront à la construction d’un héritage familial exceptionnel.
Ainsi se clôt ce chapitre, qui décrit les fondations de la dynastie Decker à Vannes, annonçant les développements futurs : la photographie, l’engagement politique, la Résistance, la musique, et la transmission d’une identité familiale profondément enracinée dans la Bretagne du XXe siècle.